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Published on: 22/03/2019

Cet article m'a été largement inspiré par celui de Patrick Moriarty l'an dernier. Je me reconnais tellement dans son analyse que j'ai tenu à la reprendre avec mes propres mots et illustrations. En plus, nous célébrons aujourd'hui la journée mondiale de l'eau qui se focalise cette année sur le thème « Ne laisser personne pour compte ».

Des femmes vulnérables privées d’accès à l’eau par l’insuffisance des investissements et du recouvrement des coûts d’exploitation. Dessin : Damien Glez © IRC. 

Des femmes vulnérables privées d’accès à l’eau par l’insuffisance des investissements et du recouvrement des coûts d’exploitation. Dessin : Damien Glez © IRC

En échangeant avec différents amis européens qui apprécient la vie dans les campagnes, j’ai compris que plusieurs pays européens avaient encore des progrès à faire pour assurer l’accès à l’eau potable et à un assainissement conforme pour plusieurs milliers de ménages vulnérables du fait de leur isolement dans les zones rurales. J’ai voulu confirmer cette situation assez surprenante en France, pays où je croyais que ces soucis de pays pauvres étaient éradiqués depuis plusieurs décennies. Alors je suis tombé sur une page web du député français André Chassaigne.

L’article relaie une question du député à la Ministre de l’écologie. Le député indique que dans les zones rurales, 100.000 habitations isolées n’ont pas accès à un réseau de distribution d’eau potable et une partie de la population n’a pas accès à ce réseau de manière continue. Il précise que pour l’assainissement, c’est encore plus grave car «  une installation sur deux ne fonctionne pas de manière satisfaisante » et « un million de logements déversent encore des eaux usées dans la nature sans traitement, en contradiction avec la loi ».

En termes de solution, il rappelle la nécessité d’apporter des subventions supplémentaires pour combler les retards, notamment pour une dizaine de départements français. De plus, le principe d’une aide équivalente entre investissements d’assainissement collectif et non collectif « devrait être acté ». En outre, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme en France estime que, par des mesures conservatoires adéquates, les personnes fragiles (femmes enceintes, personnes âgées ou malades, jeunes enfants…) doivent toujours pouvoir disposer d’un accès à une eau « véritablement » potable, lorsque le réseau est déclaré défaillant sur le plan sanitaire.

A partir de cet état des lieux, particulièrement critique, le député André Chassaigne demandait à Madame la Ministre de l’écologie, comment elle compte remédier rapidement à ces insuffisances graves, dont sont victimes les populations des territoires ruraux.

Cette anecdote démontre comment l'intervention des autorités publiques est nécessaire pour concrétiser le respect des droits humains face aux enjeux économiques et financiers relatifs à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement pour les couches vulnérables.

La réalité sur le terrain

L'Objectif 6 du Développement Durable exige qu’au plus tard en 2030, plus personne ne soit laissé pour compte et qu'il y ait égalité et non-discrimination dans la fourniture des services d'eau potable et d’assainissement. Pourtant, la réalité actuelle sur le terrain est très loin de cette ambition.  Les usagers pauvres en milieu rural reçoivent régulièrement des services d’AEPHA qui sont plus chers et de moindre qualité que ceux de leurs cousins urbains, et il y a également des inégalités frappantes dans les zones urbaines.

"Ne laisser personne pour compte" semble donner une orientation claire aux ONG du Nord et aux bailleurs de fonds travaillant dans les pays du Sud : se concentrer sur les plus pauvres et les plus marginalisés et non sur ceux qui ont déjà accès aux services. Comme le dit le vieux slogan sud-africain « un peu pour tous avant plus pour certains ». Bien que louable en théorie, cela peut, dans la pratique, conduire à des efforts inadéquats qui risquent de compromettre la durabilité du service fourni. C'est particulièrement le cas lorsque les services sont fournis directement aux pauvres par des organismes extérieurs qui ignorent et contournent les systèmes nationaux défaillants.

Subventions croisées et économies d’échelle    

Les consommateurs pauvres des services d'AEPHA dans les pays riches bénéficient de subventions croisées intégrées dans les modèles financiers des grands services publics qui gagnent leur argent à partir des usagers urbains et de l'industrie (et aussi des subventions gouvernementales).  Une ancienne collègue racontait l'histoire de ses grands-parents qui étaient parmi les derniers habitants de la France rurale à recevoir de l'eau courante sur leur ferme, au coût de plusieurs milliers d'euros, pour laquelle ils ne payaient pas plus que n'importe quel autre usager.

Les services d'eau et d'assainissement sont par nature des services en réseau et bénéficient d'économies d'échelle. C'est pour cette raison que la charité et l'aide qui visent à fournir des services directement aux "plus pauvres", et qui ne sont pas en harmonie avec les programmes nationaux de fourniture du service public, ne sont que du gaspillage. Les équipements d’eau potable ou d’assainissement installés dans une communauté qui ne s’inscrivent pas dans un système financièrement viable de service public à une échelle appropriée sont voués à l’échec. Les services dont les seuls usagers sont les plus pauvres ne peuvent tenir dans la durée parce que les coûts du service ne seront pas recouvrés et s’ils le sont pour un moment grâce à l’aide charitable, cette aide ne tiendra pas indéfiniment. Les services avec trop peu d’usagers et qui n’atteignent donc pas une échelle critique pour la viabilité financière sont voués à l’échec. Les professionnels du secteur identifieront des centaines de cas au fil des dernières décennies qui confirment ces conclusions. Il suffit que chacun d’eux retourne sur les traces de projets d’eau potable ou d’assainissement conduits dans des villages quelques années après la fin des appuis.

Éléments essentiels du système d’AEPHA

Les organismes de bienfaisance ne maîtrisent pas l’ensemble des besoins requis pour pouvoir se concentrer sur les dernières poches de personnes non desservies. Et à première vue, il en est de même pour de nombreux gouvernements quand ils répondent aux enjeux en milieu rural. Les données sur les leviers de la viabilité financière des services d'AEPHA à long terme, qui devraient constituer la base de tout investissement public visant l'accès universel font trop souvent défaut. Trop souvent, les experts du secteur focalisent leurs ressources sur l’installation des pompes aux dépens des systèmes d’information nécessaires pour déterminer où et quand elles devraient être installées et quels modèles de gestion leur permettraient de fonctionner de façon satisfaisante et durable. Plusieurs pays pauvres en sont encore à leur toute première expérience d’établissement des comptes du secteur de l’AEPHA, sans encore bien comprendre comment cet outil peut les aider à améliorer significativement les décisions de l’action publique.

C'est à cela que nous faisons concrètement référence lorsque nous parlons de la nécessité de renforcer les systèmes d’AEPHA dans un pays, que ce soit au niveau national ou celui local. Il en a été ainsi dans le secteur de la santé qui a développé les systèmes sanitaires nationaux, ainsi que dans le secteur de l’éducation qui a renforcé les systèmes éducatifs nationaux. Tous ces deux secteurs sont liés à des services publics au même titre que l’eau potable et l’assainissement. Dans aucun de ces secteurs, le système ne se résume à des infrastructures. Et enfin dans ces deux secteurs, on identifie différents mécanismes pour assurer l’accessibilité quotidienne des services aux couches les plus vulnérables à travers différents mécanismes de subventions publiques croisées ou de tarification. Il est impossible de déployer l'accès universel aux services si l’on ne sait pas qui sont les personnes non desservies, qui sont les personnes qui peuvent contribuer à financer les coûts et quelles sont les modalités les plus appropriées pour équilibrer les comptes du secteur à long terme ; il est impossible de fournir des services aux plus pauvres parmi les pauvres sans une certaine forme de subvention et il est impossible pour les entreprises publiques ou privées de garantir des services aux plus pauvres si la base légale pour leur fonctionnement ne l’exige pas ou si elle est mal définie. Le suivi des paramètres essentiels, un environnement réglementaire favorable et des mécanismes de financement pertinents pour atteindre les plus pauvres, sont autant d'éléments essentiels du système d’AEPHA.

C'est cette façon de penser et de travailler que l'IRC (et un groupe croissant d’alliés) applique dans ses communes partenaires : mettre au point, dans la pratique, ce qu'il faudra pour parvenir à l'accès universel à grande échelle et mettre au point, ce que cela représente de  s'assurer que personne ne soit laissé pour compte. La commune est-elle l'échelle optimale d’action ? A quoi ressemblent les bons modèles d’exploitation pour des services ruraux ?  Comment financer l'accès universel ?  Nous n’avons pas encore toutes les réponses, bien que nous ayons beaucoup d'idées à tester. Ce que nous savons, c'est que la seule manière d'atteindre les plus pauvres parmi les pauvres, les ménages les plus isolés ou le dernier au bout du village, c'est également d'atteindre tout le monde.

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